Michael FOESSEL
18/05/2020
Interview de Jean-Marie Durand.
Spécialiste de l’œuvre de Kant, subtil défenseur d’une politique de gauche émancipatrice et cosmopolite, Michael Fœssel enseigne la philosophie à l’École polytechnique et a publié l’an dernier un essai troublant, Récidive, dans lequel il relit la presse française de 1938, en pleine montée du fascisme, pour y déceler d’étranges échos avec celle de 2018. Un témoin idéal des dérèglements actuels du dialogue démocratique.
Chacun perçoit aujourd’hui qu’un certain climat de tension règne dans les conversations. Invectives, agressivité diffuse, rejet de l’autre… Ont-ils raison, ceux qui parlent d’« ère du clash » pour qualifier notre époque ?
Michael Fœssel : Je crains d’être globalement en accord avec ce constat. Certes, ce n’est pas une nouveauté absolue. Il est clair que les périodes de crise économique et sociale ont des effets sur les corps, et par conséquent aussi sur le langage. Les discours argumentés, orientés par le respect de l’autre, se tiennent plus facilement dans des périodes de relatif équilibre économique. Ce qui relève de la brutalisation des discours est donc à mettre, au moins en partie, en rapport avec l’exaspération sociale. Et puis toute mobilisation sociale invente sa langue. On l’a vu avec les Gilets jaunes, qui ont souvent produit un discours qui tranchait avec le discours stéréotypé régnant dans les médias : la manière de parler est toujours modifiée par un processus politique de confrontation. Il n’y a évidemment pas de démocratie politique sans démocratisation du langage. Mais la démocratisation du langage n’implique pas l’appauvrissement de la langue. Or, on a aujourd’hui d’un côté ceux qui prétendent parler comme le peuple, au risque de la brutalisation, à l’image d’un Michel Onfray ou d’un Cyril Hanouna. Et puis on a de l’autre côté les tenants du respect absolu de la langue, à la manière de l’Académie française. Ces deux camps commettent la même erreur à mes yeux : ils confondent langue populaire et langue vulgaire. Lire l’entretien publié sur le site L’ADN