Manuel CERVERA-MARZAL
08/02/2019
D’Adam à Thoreau, de Gandhi à Martin Luther King, en passant par les mouvements contestataires actuels, le sociologue Manuel Cervera-Marzal revient sur les désobéissances d’hier et d’aujourd’hui. L’urgence écologique mobilise un nombre croissant de militants adeptes de la désobéissance civile non violente, tel le mouvement britannique Extinction Rebellion. D’où vient cette notion ? C’est une histoire aussi vieille que l’humanité elle-même ! Adam désobéit aux prescriptions du Créateur, Antigone à Créon, saint Thomas d’Aquin affirme nécessaire de désobéir aux lois terrestres afin de se conformer aux lois célestes… Dans la modernité, c’est avec l’Américain Henry David Thoreau (1817-1862) que l’on voit apparaître l’expression « désobéissance civile » – même si on lui attribue une paternité qui ne lui revient pas tout à fait [mais plutôt à son éditeur, qui a repris l’expression à titre posthume]. Thoreau, dont les parents étaient des militants anti-esclavagistes, va pousser cette logique jusqu’au bout : vivant dans un Etat esclavagiste, le Massachusetts, il considère que, en payant ses impôts à cet Etat, il contribue à une politique dont il se rend complice. Pendant six ans, il va donc cesser de payer ses impôts, jusqu’à être envoyé en prison. Quelques années plus tard, en 1849, il écrit un petit livre dans lequel il avance quelques idées centrales : en cas de conflit entre ce que me dit ma conscience et ce que me dit la loi, je dois obéir à ma conscience ; sous un gouvernement injuste, la place d’un homme juste est en prison ; etc. Publié à compte d’auteur sous le titre Résistance au gouvernement civil, cet opuscule connaîtra un succès certain, et influencera Gandhi et Martin Luther King. Mais ce sont les éditeurs qui, après la mort de Thoreau, renommeront cet ouvrage La Désobéissance civile.
Gandhi et Martin Luther King ont-ils ouvertement revendiqué l’héritage de Thoreau ? Absolument. Et c’est en prison qu’ils ont tous les deux découvert la nécessité de suivre son injonction à la désobéissance civile. Lorsque Gandhi, à la fin des années 1890, prend en Inde la tête du mouvement de défense des fermiers et des travailleurs pauvres, il les incite à la résistance passive contre les taxes et la discrimination.A la suite de la lecture de Thoreau, il remplacera cette notion par celle de « désobéissance civile ». L’activisme qu’il prône présente toutefois deux différences notoires avec celui revendiqué par le philosophe américain : il doit être collectif, voire massif, et il doit se fonder sur l’ahimsa (non-violence) – ce que ne spécifiait pas Thoreau. La démarche de Gandhi aboutira en 1930 à la célèbre « marche du sel », qui mènera, en 1947, à l’indépendance de l’Inde. Lire l’article publié sur le site Le Monde